Édition du jeudi 21 novembre 2024
et descendants de François-Louis LEVASSEUR dit BORGIA
On appelle fréquemment aux souvenirs. Pour la simple raison que notre mémoire aime bien reléguer certaines choses aux oubliettes.
« Ça fait 70 ans. C'est l'Histoire. Les jeunes ne savent pas. Il faut qu'ils sachent. »
Homme de peu de mots, Roland Moisan a été décoré dimanche de la Légion d'honneur de la France. Et c'est sur ces quelques mots qu'il a résumé l'importance de se remémorer. Avec cinq autres compatriotes, ils sont devenus les derniers vétérans québécois à recevoir cette médaille, qui est la plus haute distinction militaire de la République. La Légion d'honneur est remise aux combattants qui ont contribué à libérer la France lors de la Seconde Guerre mondiale.
« C'est important de se rappeler », mentionne le vétéran. En effet, c'est plus d'un million de Canadiens qui servirent pour les Alliés. De ce nombre, 45 000 périrent, et 55 000 furent blessés.
Pour M. Moisan, ces souvenirs sont lointains, mais encore bien vivants. « J'avais pas tout à fait 19 ans quand je me suis enrôlé. J'ai fait toute la Guerre, jusqu'à la fin, en 1945. Ils nous montraient notre métier. On apprenait sur le tas. »
M. Moisan se fait discret sur ce qu'il a vécu à cette époque. Il vogue dans ses souvenirs, économise ses mots et ses énergies. Normal à 93 ans. Pour lui, la cérémonie de dimanche prenait toute sa signification dans l'importance de passer la mémoire à la postérité. « Il y a beaucoup de jeunes qui ne savent pas ce qui s'est passé dans ces années-là. Ils n'étaient pas là. Alors c'est pour rappeler tant d'Histoire. Rappeler aux jeunes ce qu'on était obligé de faire à ce moment-là. Parce qu'on était obligé de servir notre pays. »
Des souvenirs tantôt douloureux, tantôt chérissables. Quand on lui demande de partager un moment de la Guerre qui lui était précieux, il hésite longuement. « Veux-tu, je vais te raconter une belle histoire à la place? Je ne l'ai jamais racontée encore aux journalistes. Ça va faire du bien à votre journal! » lance-t-il avec un sourire moqueur dans la voix.
Le ton moqueur a laissé place à un trémolo rempli d'émotions. L'amour, ça s'entend lorsque raconté. M. Moisan avait une amie, Patricia, qu'il voyait tous les étés durant son enfance avant qu'ils ne se perdent de vue un moment donné. Quelques années plus tard, alors que M. Moisan était déjà en Europe, on a demandé à Patricia si elle voulait correspondre avec un soldat, en l'occurrence, M. Moisan.
« Tout le temps de la Guerre, on s'est écrit jusqu'à trois fois par semaine. Elle a gardé toutes mes lettres. Je suis revenu le 10 décembre 1945, on s'est marié le 20 décembre, dix jours après. »
Ça aurait fait 70 ans en décembre, mais Patricia est malheureusement décédée un peu plus tôt cette année. Et on sent encore tout l'amour qu'éprouvait M. Moisan pour sa femme. Si l'Histoire ne passe pas à la postérité, l'Amour le fera...
Émilie Pinard
La Tribune de Sherbrooke
11 novembre 2015