Édition du jeudi 21 novembre 2024
et descendants de François-Louis LEVASSEUR dit BORGIA
« J’ai toujours été plutôt discret sur mon expérience à la guerre. J’étais incapable d’en parler, je ne voulais pas que mes enfants aient de la peine en lien avec ce que j’ai vécu à la guerre. »
Quand on lui demande de raconter « sa » guerre, on sent d’ailleurs encore la pudeur qui le retient de livrer ses souvenirs. « La guerre a façonné l’homme que je suis devenu. Je suis parti comme un enfant et revenu étant un homme », relate avec émotion Roland Moisan, aujourd’hui âgé de 93 ans.
Une carrière militaire, le jeune Roland Moisan n’en rêvait pas particulièrement. Mais en 1941, une campagne publicitaire des forces armées le séduit et il rejoint sans hésitation les rangs des forces terrestres. À la fin de la même année, il entreprend la traversée par bateau jusqu’en Europe. Une traversée difficile qui a duré trois semaines.
« Les changements de direction étaient fréquents puisqu’il fallait éviter les sous-marins allemands. L’aventure ne faisait que commencer. Nous ignorions tous l’accueil qui nous attendait dans le port de Liverpool », dit-il en levant les yeux vers le ciel comme si ce jour était encore tout près dans ses souvenirs.
« En arrivant au port, les sirènes criaient, les bombes passaient au-dessus de nos têtes, raconte-t-il. J’ai eu vraiment peur, mais on s’en est tiré ! Je n’ai jamais regretté. C’est comme si on était immunisé, l’armée nous avait préparés. »
En juin 1944, après plusieurs mois d’entraînement, Roland Moisan participe sans le savoir à ce qui deviendra un fait marquant de l’histoire : le débarquement de Normandie, l’invasion tant attendue du nord-ouest de l’Europe.
« Nous avons réussi à débarquer les camions, les obus, le matériel, la nourriture et le carburant, se remémore M. Moisan. On s’est installé dans une petite ville à l’ouest de Caen. Nous étions face aux troupes allemandes et on était confronté à l’artillerie lourde. Nous nous sommes creusé des trous pour nous protéger. Le soir venu, les bombardements ont commencé et un soldat qui n’avait pas cru bon se creuser un refuge dans la terre s’est précipité sur moi pour se camoufler. On a passé la nuit là, tous les deux coincés, en attendant une accalmie. »
Ces années de guerre ponctuent la mémoire de M. Moisan de nombreux souvenirs. Des mauvais comme des bons. « Pendant notre progression vers l’Allemagne, j’ai bien failli y laisser ma peau. On transportait des jeunes prisonniers. Tout à coup, deux prisonniers m’ont saisi et m’ont baissé la tête. Ils voulaient éviter qu’elle soit tranchée par un fil de fer suspendu. Ma carabine est tombée, le jeune l’a ramassée et me l’a remise avec un sourire. Ce jour-là est resté gravé dans ma mémoire à jamais. J’ai vu la bonté intrinsèque des gens dans ce geste », raconte-t-il.
Il n’oubliera jamais non plus ce fameux jour du 8 mai 1945. « Ç’a été un moment de pur bonheur et c’était la fête partout. On se sentait flotter. »
Roland Moisan est rentré chez lui en décembre 1945. Il s’est marié et a fondé sa famille. « J’ai passé les 40 années suivantes à la laiterie Carnation. J’ai fait tous les jobs dans l’usine en plus de m’impliquer dans mon syndicat », dit fièrement celui qui habite maintenant Sherbrooke, en Estrie.
« C’est tout un honneur de recevoir la Légion d’honneur, mais en même temps, je considère que ce sont mes compatriotes tombés au combat qui méritent cette distinction. Moi, j’ai survécu », ajoute-t-il, bien humblement.
Brigitte Marcoux
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